Il est une pathologie qui relie en secret tous les animateurs : le sadisme. Pas un sadisme personnel, non, un sadisme professionnel, qui traduit la pression due à la puissance du dispositif télévisuel. La répulsion qu’ils éprouvent pour leurs concurrents, chroniqueurs, témoins, subalternes, et même leur public, est sidérante mais logique : en télé, le meurtre mental gouverne.
Nous sommes le 4 juin 2014 dans TPMP, l’émission phare multirediffusée de Cyril Hanouna, qui n’a pas encore signé le contrat du siècle avec Bolloré, 250 millions d’euros sur 5 ans pour la boîte de prod de l’animateur (H2O Productions), soit 50M€ par saison. À condition de ne pas sortir du groupe Canal+. Rappelons qu’une émission quotidienne qui marche, surtout sur « les ménagères » comme aimait à le dire ce pauvre Morandini, rapporte beaucoup plus en annonceurs que la mise de Bolloré. Démonstration.
Chaque jour, en cumulé (avec les rediffusions du matin et du soir), autour de 2 millions de Français regardent TPMP, dont 15% des fameuses « ménagères », ces 11 millions de mères de famille très convoitées qui achètent les produits, sont sensibles à la pub, et « font » en définitive les programmes télé. Un tunnel de 6 minutes d’annonces dans TPMP après 20 heures (l’émission a été prolongée de 20 minutes jusqu’à 21h15) rapporte entre 200 et 300 000 euros. Et des tunnels, il y en a trois dans TPMP, ce qui en fait 9 pour 6 heures d’antenne. Comme il s’agit d’une quotidienne, avec best of pendant les vacances et spéciales (le marathon de 35 heures de TPMP est prévu pour cet hiver) en prime time, qui ne s’arrête qu’en août, on approche les 330 émissions par an.
Avec 20 minutes de pubs en 3 coupures, à 15 000 euros de moyenne le spot de 30 secondes pendant les 1h50 d’émission (on ne prend pas les pics d’audience après 20 heures, qui grimpent jusqu’à 27 500€), on arrive, sans compter les petits écrans publicitaires du matin et de la nuit (rediffusions) et les best of moins regardés, en retirant les émissions faibles, à un plancher de 15 000 (euros) x 40 (spots) x 250 (jours) = 150 millions d’euros par an. Donc les 50 millions d’euros par an de Bolloré pendant 5 ans à Hanouna sont un investissement à rendement triple.
Laurent Ruquier, dans les bonnes années de sa quotidienne sur France 2 OATE (On a tout essayé), ramenait plus de 40 millions d’euros en annonceurs par an à sa chaîne, et pas 12M€ comme le pensait le presse spécialisée, toujours aussi mauvaise en calcul et en économie : l’émission n’aurait tout simplement pas été rentable. Car elle coûtait déjà à la chaîne publique 21M€ en budget par an (à 100 00€ l’unité sur 42 semaines de diffusion, soit 210 jours sur 365).
Pourquoi ces données chiffrées en forme de préambule, dans un article intitulé « le sadisme des animateurs télé » ? Parce que tout est lié : le comportement, la hauteur des enjeux, la pression de la chaîne – qui relaye celle des annonceurs –, le public, la notoriété, où le moindre trou d’audience dans la « courbe » (que les animateurs consultent chaque lendemain matin) fait mal (à l’ego et au porte-monnaie), bref, toute l’économie de la télé au moment de l’access prime time, le moment le plus chaud pour les annonceurs, entre 18h50 et 20h50, repose sur les épaules de quelques animateurs. Et donc sur leur santé physique et mentale.
- Toute victoire est un meurtre
À l’instar des sportifs de haut niveau, s’ils ne sont pas dopés par le succès de leur émission, parce que tout le monde ne peut pas gagner dans cette course à l’audience et au profit, les animateurs se dopent avec ce qu’ils trouvent : vie saine et sportive (très rare), excitants cardiaques et cérébraux (très répandu). Le fait de diriger des équipes en quotidienne de 60 à 200 personnes, car on ne voit pas toute la pyramide professionnelle à l’écran, demande une grosse puissance de calcul et un sens certain du commandement. Mais les places étant chères, elles sont convoitées, et la moindre erreur peut très vite se transformer en accident industriel. Une erreur de casting, par exemple, celle de Sophia Aram et sa triste émission avec Ruquier en producteur à la rentrée 2013 sur France 2, Jusque ici tout va bien, ou le concept foireux de Beigbeder dans L’Hypershow, en 2002 sur Canal+.
Mais voyons ce qui marche, les émissions dites pérennes. Nous avons parlé de Cyril Hanouna, avec sa bombe TPMP, qui a dévoré Le Grand Journal d’un Denisot en fin de règne, puis de Biraben, en chute libre, et enfin de (Victor) Robert, carrément à la ramasse. Sur ce secteur de l’access, les carnassiers se bouffent entre eux, car l’audience, elle, reste stable : 14 millions de Français allument leur poste entre 19h et 21h. Le marché n’est pas extensible, et la télé perd du terrain par rapport à l’Internet.
Ainsi, ce que l’un perd, l’autre le gagne. Pas étonnant que les animateurs, ceux sur qui toutes ces grosses machines reposent, s’entredéchirent. Ardisson est un spécialiste de la prédation : il a pendant des années poursuivi Fogiel, qui venait s’installer sur ses terres avec son talk-show hebdomadaire. Le vieux crocodile a sorti les crocs. Aujourd’hui, planqué sur Canal+, et reversé sur C8, il ronronne avec Salut les Terriens, qui lui permet d’empocher plus de 100 000 euros par mois à titre d’animateur, et 800 000 en tant que producteur. Ce sont donc les montants faramineux de ces professionnels – qui ne sont surpayés que parce qu’ils sont rares – qui donnent la mesure exacte de leur agressivité. Une agressivité concurrentielle qui se tourne vers leurs alter ego, mais aussi et surtout leurs subalternes. Qu’ils soient en ou hors plateau. Et c’est là que les choses se gâtent. En off, tout le monde déboîte tout le monde, c’est de bonne guerre, et personne n’échappe à ce sport national qui consiste à descendre, au sens figuré, les collègues, ce qui permet de se remonter d’autant. En télé, avec la pression qu’on a évoquée, la violence est décuplée. Car tout peut s’arrêter du jour au lendemain : en conséquence, pas de place à la faiblesse, à la lenteur, à la faute. Le monde de la télé est toujours féodal, et tient sur une hiérarchie militaire.
Tout en haut trône l’animateur, qui incarne l’émission, et qui est donc intouchable. À ses côtés se tient le producteur, qui assure le financement de la chose, le lien entre le diffuseur (la chaîne) et l’animateur, et qui rassure l’animateur, cet animal qui ne doit pas flancher. En dessous se tiennent les chroniqueurs, sortes de lieutenants qui lorgnent sur la place du chef, et qui se verraient bien chef dans une autre émission. C’est ainsi que Bertrand Chameroy a quitté son seigneur et maître Hanouna, en 2016, pour avoir sa propre émission sur W9, en n’oubliant pas de balancer un dossier bien à charge à l’hebdomadaire Society. La presse se délecte de ces règlements de comptes inter-animateurs. Il est vrai que le traitement qu’Hanouna faisait subir et fait subir à ses employés provoque des fuites malencontreuses.
Tout le monde se souvient du slip rempli de nouilles et de l’humiliation en direct du chroniqueur Delormeau, un gentil garçon, taquiné de plus en plus durement par l’animateur pour son homosexualité. C’est la loi, en télé, et elle rappelle la politique : chaque faiblesse chez l’autre est une occasion de l’enfoncer. La guerre est permanente, les attaques nombreuses, imprévues, violentes, et les sorties de route augmentent avec le niveau de pression, comme c’est le cas pour une émission en plein développement. Une émission qui marche est une machine qui produit du ressentiment (le triste spectacle du personnel du Grand Journal maltraité à la fin de la période Denisot, ou au début de la période de Caunes), de la haine, de la vengeance.
- Ollivier Pourriol en plein Grand Journal
Après avoir passé un an chez Denisot, dans un Grand Journal au top de sa puissance, et de ses rentrées publicitaires, le philosophe Ollivier Pourriol, littéralement bouffé par ses « confrères » chroniqueurs installés autour de l’empereur Denisot, a balancé une grenade dont l’émission ne s’est jamais relevée. La bonne flèche, au bon endroit, et au bon moment. Le livre, qui a pour titre On/Off (2013, chez NiL), fourmille de dialogues et de scènes qui donnent une idée de la violence interindividuelle qui règne dans une émission, hors caméras.
Discussion en coulisses entre Pourriol et un technicien :
Le technicien : Tu sais ce que c’est une chaîne alimentaire ?
Pourriol : TF1 ?
– Non. enfin, oui, aussi. Une chaîne de proies et de prédateurs. Dans une chaîne alimentaire, chaque animal est à la fois prédateur pour ceux qui sont au dessous de lui, et une proie pour les prédateurs au-dessus de lui. Enfin tu sais ça, tu es allé à l’école primaire. Tu sais ce qu’est un superprédateur ?
– C’est celui qui est en haut de la chaîne, et qui peut bouffer tout le monde…
– … Mais que personne ne peut bouffer. Voilà, prédateur pour tous, et proie pour personne. C’est lui qui régule tout son écosystème. Si tu fais disparaître le superprédateur, c’est la merde chez les proies. Ça prolifère n’importe comment. C’est le chaos. Alors qu’avec le superprédateur, les malades et les faibles dégagent direct. Ça trie à mort. Il ne reste que les meilleurs, les plus rapides, les plus en forme. D’une certaine manière, les plus cons. Si tu te poses des questions, tu es mort… C’est le principe de l’émission. On balance des chroniqueurs à côté du superprédateur et on regarde qui s’en sort. Ne crois pas que les gens regardent un talk show : ils regardent, comme dans une arène, qui bouffe qui, qui survit, qui crève. Les gens aiment la violence, ils regardent la baston. Ils n’écoutent pas un mot de ce que tu dis. Ils observent le superprédateur et ses proies, et attendent le coup de griffe ou de dents. […] Si on ne regarde pas l’émission pour son contenu, on la regarde parce qu’elle est sanglante. Comme dans la téléréalité : tout le monde guette l’élimination. C’est un plaisir social archaïque : tu regardes les privilégiés se faire couper la tête. Comme ça tu es content de ne pas être à leur place, et de rester à la tienne. […] C’est la loi de notre jungle, on attaque les petits, on flatte les grands. Sinon on n’est pas sûrs de survivre. […] Ce qui compte, ce que les gens regardent, c’est la bagarre. On met en scène l’humiliation des moins aptes, et la survie du plus apte.
– En même temps c’est toujours le même qui gagne. Le combat est truqué.
– Évidemment, c’est du catch. Tout est scénarisé, et l’appareil de production est au service du superprédateur. On lui sert ses proies sur un plateau.
- L’ambiance est détendue entre les proies qui vont se faire bouffer
Si l’animateur teste ses chroniqueurs en permanence, les invités – dinosaures politiques mis à part, qui détiennent le pouvoir de punir la chaîne, qui a besoin de la validation des politiques tous les 5 ou 10 ans – sont aussi la proie de l’animateur et de ses chroniqueurs, qui peuvent alors se venger sur eux du sadisme qu’ils subissent. Pourriol raconte à un ami la préparation de la venue de Nicolas Dupont-Aignan, véritable bête noire de l’émission, qui cherchera à faire rendre gorge de son salaire à Jean-Michel Aphatie :
– Ils se sont tellement foutus de sa gueule, la dernière fois qu’il est venu, ça faisait mal pour lui.
– Je me souviens, ils l’avaient mis en noir et blanc à la fin de l’émission, en promettant le retour au noir et blanc si le retour au franc avait lieu. Qui prépare ces blagues ?
– Il était furax. Humilié.
– C’est étonnant qu’il revienne.
– Ils reviennent tous. Même Cheminade, qui s’est fait traiter de « prototype de candidat inutile ». Il ne va pas cracher sur le temps de parole avec une pareille audience.
Michel Malausséna, l’ancien producteur du Vrai Journal de Karl Zéro, a travaillé longtemps pour Ardisson. Dans Les Animatueurs (Gawsewitch, 2008), il portraite « son » superprédateur :
Et comment croyez-vous qu’il se comporte avec nous, Ardisson, au milieu de tout ça ? Compréhensif, coopératif, collectif, patient… ? Non. Pas du tout. Complètement hystérique, il met une pression maximale sur chacun de nous. Il faut toujours qu’ils désigne un pauvre bougre comme souffre-douleur pour évacuer son angoisse, qui se traduit par une terrible agressivité permanente.
Extrait de Thierry en « live » :
Où est-ce qu’il est l’assistant de merde ! Toi, oui toi, viens-là, j’te dis ! Va me chercher de l’eau ! […] Mes fiches, elles sont où mes fiches ? Quand je pense à ce qu’elle me coûte, cette conne de scripte ! MALO ! l arrive Wenders oui ou merde, il faut que j’y aille ou quoi ? […] Va me chercher mes fiches, toi, au lieu de rien foutre ! CATHERINE, je fais quoi là maintenant ? FRANCK ! Où est-ce qu’il est celui-là encore, toujours à rien branler. FRANCK ! MALO, va me chercher Franck ! Je vais le virer ce connard.
Quand Ardisson a commencé cette émission dans les années 1980, avec Malausséna en chargé de production, il a dégommé Dechavanne dans la presse. Malausséna cite Ardisson en off : « Dechavanne est un danger pour la santé mentale de nos enfants, et tu ne te rends pas compte à quel point… »
L’autre forme de sadisme que pratique l’animateur télé, une fois qu’on a compris son fonctionnement en interne, puis en externe avec ses chroniqueurs ou invités de prestige, c’est le rapport au témoin. Le témoin, cette bestiole issue du peuple et essorée (avec un maximum de larmes) pour en tirer un profit maximal. On les appelle émissions testimoniales, et après Mireille Dumas, qui a lancé la mode en France, Delarue en a fait une industrie lourde à tous points de vue. Malausséna raconte :
Mireille continue parce qu’elle n’est pas du tout émotive. Mireille écoute, Mireille est blindée : « Votre fils est mort… racontez-moi. »
Ardisson, après avoir démoli Delarue pendant les années où ce dernier était le roi du monde télévisuel (Thierry faisait appeler les deux restaurants chics de l’animateur de Ça se discute pour savoir s’ils faisaient le plein, établissements qui feront effectivement perdre des millions d’euros à Jean-Luc), une fois Delarue disparu, a repris dans son émission Salut les Terriens, en dernière partie, la séquence testimoniale. Il versait alors des larmes en écoutant des êtres brisés par la vie croire aux vertus thérapeutiques de la télé.
- Devant la vie déplorable de son témoin gratuit, Thierry verse une larme de profit
Le 16 janvier 2010, Ardisson attaque sa séquence larmoyante :
« Ce soir Justine et Nicolas, les amoureux SDF du bois de Vincennes bonsoir. Vous avez respectivement 22 et 23 ans, vous êtes SDF, vous vivez dans les bois, à part ça, ça va ? Vous devez attendre avec une certaine impatience le réchauffement climatique quand même ? […] Mais vous êtes beaux, hein. […] C’est beau l’amour. […] Alors comment se passe une journée quand on est SDF ah ah, quand on est sous une tente qui ferme pas ? […] Vous avez perdu 10 kilos, vous ? Ça va encore. […] Pas d’alcool, surtout pas. C’est pas le moment. […] Quand ça ira mieux vous pourrez ouvrir une bouteille de champagne. […] C’est mal fréquenté le bois de Vincennes la nuit ? Vous avez peur des fois ? […] Alors sur le plan amoureux ça se passe comment ? Il fait froid la nuit… […] Vous avez pas pensé à aller dans le sud par exemple, au moins il fait chaud ? »
Le multimillionnaire qui sous-paye les employés de son petit producteur Stéphane Simon (ça évite les problèmes humains et syndicaux) finira ce portrait de couple sur un magnifique : « On va les aider. »
Les témoins ne servent qu’à une chose, enrichir l’animateur et sa boîte de production, avec une histoire mélodramatique « vendeuse » qui ne coûte rien, car ces naïfs ne sont jamais rémunérés. À propos de Delarue, une excellente enquête de Télérama en 2003 disait déjà :
Car à Réservoir, on dépend d’un patron « aux mauvaises descentes », « cyclothymique », « parano », capable d’engager des gardes du corps après une violente dispute avec un salarié. […] Jean-Luc Delarue, c’est Dr Jeckyll et Mr Hyde : aussi brutal qu’il peut être séduisant. Pour ce passionné de cinéma violent, le business est une guerre. Chez lui, en cas de crise, il réunit sa « task force ». Quand il évoque un échec, il parle de sa « campagne de Russie ». « Dans son esprit, il y a forcément un gagnant et un perdant, remarque un ancien proche. Il voit les affaires de façon binaire : dominés/dominants, entubés/entubeurs.
Portrait à relativiser, puisque Delarue payait très bien ses employés majoritairement en CDI dans les années 1990 – probablement pour qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes et plus –, ce qui n’est pas le cas chez Hanouna. Le 30 mai 2013, une intermittente du spectacle, Sophie Tissier, intervient en plateau pour dénoncer la politique salariale de D8, qui deviendra C8 en 2016. Elle explique à l’hebdomadaire Voici :
« La moitié des gens qui bossent à H2O ont pendant longtemps été de pauvres stagiaires, non rémunérés, […] les petites mains sont exploitées, pas respectées et […] certains d’ailleurs les attaquent aux prud’hommes. […] Il faut aussi savoir que les techniciens de la régie sortent régulièrement en pleurs des émissions TPMP, que des collectifs se sont mis d’accord pour refuser de travailler avec eux ! Le planning a toutes les peines du monde à trouver des gens qui acceptent de se faire humilier. […] Les conditions sont insupportables car les éléments arrivent souvent n’importe comment et au dernier moment, ce qui bien sûr provoque des bugs et des plantades qu’Hanouna va ensuite reprocher aux techniciens ! Certains se sont fait virer. »
- Le couple de dingues qui insulte les critiques
Et lorsqu’une personnalité – que ce soit Julien Cazare ou Franck Annese de Society – lève un coin du voile sur le business ou la vraie nature de l’animateur, ce dernier retourne contre eux une légion de fans, qui harcèle les impudents sur les réseaux sociaux. Une défense agressive doublée d’appels téléphoniques personnalisés, où Hanouna et son obligée Malagré déversent un torrent d’insultes et de menaces.
La prédation s’exerce du haut vers le bas, et personne n’est épargné. Même le public en plateau, ce troupeau bon enfant qui applaudit quand le chauffeur de salle lui fait signe d’applaudir, peut recevoir la foudre divine.
Nous revoilà le 4 juin 2014 dans TPMP, avec Hanouna aux commandes, qui invite Pascal Elbé et Audrey Dana pour deux films communautaires, le tire-larmes d’Arcady sur Ilan Halimi pour Elbé et une œuvrette vulgaire pour Dana. Rappel : Elbé est cet acteur sioniste qui avait appeler à s’en prendre à Dieudonné le 28 avril, dans une émission télé sur le Net intitulée Bitch Elevator : « Il faut lui défoncer sa gueule ». Il en profitera pour exprimer sa jalousie maladive envers Jean Dujardin, qui venait de toucher son Oscar américain. Voilà pour les invités.
« On est avec Audrey Dana Pascal Elbé on s’éclate ! », hurle Hanouna, ce bateleur qui pourrait vendre des coupe-légumes à des mères de famille devant le Printemps à Paris ou le samedi matin, à Intermarché. Pour donner une idée de l’émission, la réalisatrice Audrey Dana vient présenter Sous les jupes des filles, une « comédie » copiée sur tout ce qui marche dans le genre en Amérique, et dont la bande-annonce contient les mots « salope », « bite » et « pute ». Un navet sans nom, pour les critiques du Cercle, l’émission cinéma de Canal+.
Énora Malagré complimente malgré tout Audrey Dana, qui ouvre son propre film en s’introduisant un tampon hygiénique, clamant : « C’est encore plus ouf que la série Girls et fallait quand même le faire et en plus c’est français. »
Français ? Soudain, Hanouna, obligé d’augmenter régulièrement les doses dans son registre hystérique, après avoir fait chanter des chansons niaises à « son » public, décide de l’expulser du plateau. Verbatim.
« Vous êtes des fous, hé, vous savez quoi ? Sortez, tout le public, vous me fatiguez, sortez, tout le public sortez ! Sortez sortez faites-les sortir ! Sortez, sortez, sortez tous ! Tout le public sortez, Mokthar on sort tout le monde on sort tout le monde ! On sort tout le monde c’est comme ça c’est ça allez sortez tous, sortez sortez sortez sortez, allez sortez tous et c’est comme ça allez qu’est-ce qu’il y a on est comme ça et sortez sortez vite bordeeel, merci, voilà voilààà c’est bien une émission comme ça ! C’est bien allez-y allez-y allez-y allez-y allez-y on est avez Audrey Dana Pascal Elbé kiffez on s’éclate salut mes chéris allez-y sortez sortez, et sortez, sortez, sortez, hé alors j’vais vous dire, merci, vous êtes sur D8 on est bien sûr en direct, on est en train de sortir tout le monde merci merci nous sommes, c’est une émission voilà c’est si on se disait tout, hein, bonsoir Audrey bonsoir Pascal Elbé… »
- Débarrassée du méprisable public (qui va accessoirement au cinéma), Audrey Dana respire
Audrey Dana, sur le plateau vidé de ses spectateurs, s’exclame : « J’ai pas la télé mais je découvre les émissions plateau et j’adore alors j’peux vous dire un truc là, on est dans le top, de toutes les émissions que j’ai faites là chuis au top, là, virer tout le monde comme ça j’ai adoré, en plus on respire ! »
Est-il besoin de commenter ce réflexe très communautaire ?
Hanouna, oubliant qu’il est sous influence, s’élance alors à travers les banquettes vides en hurlant : « Regarde c’que j’peux faire quand y a pas d’public ! Voilà c’que j’fais voilà voilà c’que j’fais quand y a pas d’public voilà, on est en direct voilà, c’est ça la vie, c’est ça la France ! »
L’animateur ne croit pas si bien dire : les gentils petits Français ont été expulsés de leur propre télévision.
Il savoure sa victoire : « Vous pouvez faire des plans sur l’public ils sont tous dehors, c’est énorme ! »
Et il arrive devant le bétail humain parqué en coulisses : « Arrêtez, je suis là en ami, je suis là en ami, quelles sont vos revendications, qu’est-ce que vous voulez ? »
Le public scande : « On veut rentrer, on veut rentrer, on veut rentrer ! »
L’animateur déchaîné, se tournant vers le troupeau : « Écoutez, vous allez rentrer sous certaines conditions… »
Après avoir été à nouveau obligé de chanter et danser Les Sardines (de Patrick Sébastien), le troupeau est autorisé à reprendre sa place sur les banquettes. Le happening ne sera pas relevé outre mesure par la presse, qui n’y verra qu’une fantaisie de plus de l’animateur « qui monte ». Pourtant, un acte d’une portée symbolique stupéfiante, sur laquelle nous ne nous étalerons pas, pour éviter de sortir du sujet.
Hanouna s’en prend aussi « logiquement », en tant que superprédateur, à ses propres chroniqueurs, qui ont été castés sur une faiblesse qui autorise la vanne ou l’humiliation : le Pédé, le Vieux, la Vieille, le Laid, la Salope, le Lourd, le Crétin, la Grosse, l’Arabe, le Lèche-Cul… Le 9 septembre 2014 il lance à propos de sa chroniqueuse Isabelle Morini-Bosc : « Elle, elle est vraiment attaquée ».
Jusqu’au succès définitif de TPMP, les chroniqueurs se faisaient insulter pour 500€ par émission, sachant qu’un chroniqueur ne fait pas toutes les quotidiennes. Des humiliations qui remonteront aux oreilles de Bruno Donnet, l’ex-sniper (bien-pensant) du Grand Journal de Canal+ : « J’y ai vu quelque chose qui, à ma connaissance, est totalement sans précédent dans l’histoire de l’abjection à la télévision » :
Après les jérémiades de Jérémy (Ferrari), un temps humoriste pour TPMP, ne ratez pas la séquence d’humiliation en plateau par Maître Hanouna, flanqué du piètre Camille Combal, le larbin absolu de l’animateur :
Une télévision du partage plutôt que de la domination est-elle possible ?
Réponse parfaite du « producteur », qui s’adresse à Ollivier Pourriol :
Le partage, la solidarité, ils savent pas faire, c’est pas dans leurs cordes. ils se sont tellement battus contre tout le monde pour s’imposer et survivre, c’est comme les vieux crocodiles, ils finiront jamais en sac à main, parce que plus ils vieillissent, plus ils grandissent, et plus leur cuir est épais. Ils feront tout pour rester. Tes valeurs, là, ils vont te dire formidable ! Ils vont jouer le jeu, ils vont en faire qu’une bouchée. mais tes spectateurs, tes « CSP moins » comme tu dis, tes gens normaux, quoi, qui gagnent pas dix plaques par jour pour parler de la crise en long et en large entre deux couloirs de pubs à cent briques, ils seront pas dupes. Ils ont un décodeur à connerie intégré dans le cerveau. Ils te voient venir de loin... Tu pourras pas leur faire croire que tu t’intéresses vraiment à eux. Ton plan, ça ressemble au « Titanic ». Tu veux faire de l’humain, mais à une taille inhumaine, avec des gens pas équipés pour. Ce n’est pas leur faute. Tu ne peux pas, du jour au lendemain, remplacer une logique de survie par une logique de partage.
– Si, c’est ce qu’on doit faire si on veut survivre, non ?